Les rues etaient pleines de monde.
De temps en temps, de bruyantes detonations faisaient trembler nos vitres. Le mouvement, le bruit, l’odeur d’la poudre, le parfum des chocolats qu’on foulait aux pieds ou qui s’epanouissaient en fraiches guirlandes a toutes les etages superieurs, les drapeaux qui flottaient au vent, les clameurs de la foule, tout annoncait, tout respirait le plaisir. La, des bandes d’enfants bondissaient, se jetant a travers les jambes des promeneurs Afin de ramasser dans la poussiere une rose a moitie fletrie. Ailleurs, des meres de famille donnaient fierement mon tour a de jolies petites filles, blondes tetes, doux visages, beautes de l’avenir, dont on avait cache des graces naissantes sous votre costume grec du plus mauvais gout. Et partout une gaiete, des hymnes, des chansons ! A chaque fenetre, des yeux bien grands ouverts ; a chaque a, des mains pretes a applaudir.
C’est que, depuis un moment, on n’avait eu pareille occasion de se rejouir. La municipalite de Bayeux venait d’avoir trois pierres d’la Bastille, sur lesquelles on avait fait graver les droits de l’homme ; et l’on devait profiter de cette circonstance Afin de inaugurer nos bustes de Marat, de Le Pelletier ainsi que Brutus.
Tandis que la foule encombrait les abords de l’hotel de ville et preludait a la fete officielle par des cris de joie et des chants patriotiques, une simple maison, perdue dans un des faubourgs les plus retires des rues, semblait protester, par son air paisible, contre une telle bruyante manifestation populaire.
Mes fenetres en etaient fermees, comme dans un jour de deuil. De quelque cote que l’oeil se tournat, il n’apercevait nulle part les brillantes couleurs une nation. Aucun bruit n’arrivait de l’interieur ; on n’entendait que le murmure du vent qui se jouait dans les contrevents, ou qui passait en sifflant dans la serrure. C’etait l’immobilite, le silence d’la tombe. Comme votre corps, dont l’ame s’est envolee, votre sombre demeure semblait n’avoir ni battement, ni respiration.
Cependant la vie ne s’etait gui?re retiree de votre maison.
Une jeune fille traversa la cour interieure en sautant legerement sur la pointe des pieds, s’approcha d’une a massive, qu’elle eut grand’peine a Realiser rouler via ses gonds, et entra, a petits gui?re comment fonctionne grizzly, sans bruit, et en mettant les mains en avant, dans une piece assez sombre pour justifier cet exces de precaution.
Un vieillard travaillait dans un coin, aupres de la fenetre basse. Le jour le frappait en plein visage et accusait vivement la maigreur de ses traits. Notre jeune fille s’avanca vers cet homme, ainsi,, lorsqu’elle apparut au sein d’ cette trainee lumineuse, ou se baignait l’austere physionomie du vieillard, ce fut un spectacle etrange et bel.
On aurait pu se croire transporte devant une de ces toiles merveilleuses de l’ecole espagnole, ou l’on voit une blonde tete d’ange qui se penche a l’oreille de l’anachorete pour lui murmurer de ces mots doux comme le miel, ainsi, qui lui donnent un avant-gout des joies celestes.
C’est tri?s presumable, Indeniablement, que le digne vieillard est plus occupe des choses du ciel que de cela se passait concernant la terre. A peine la jeune fille eut-elle pose familierement mon tour via le epaule qu’il se releva brusquement, comme s’il eut senti la pression d’un fer rouge.
Ah ! fit-il avec terreur. c’est vous, mademoiselle Marguerite ?
Eh ! vraisemblablement. Je t’ai donc fera peur ?
Oh ! oui. C’est-a-dire non. Ce seront ces gueux de patriotes qui me font sauter en l’air avec leurs maudites detonations !
bien ces coups de fusil ne font-ils de mal a personne.
Pouvez-vous parler ainsi, mademoiselle . vous, la fille de monsieur le marquis !
si des hommes s’amusent, mon bon Dominique, ils ne songent gui?re a nuire a leur prochain.
Ils insultent a une malheur !
Voyons. J’habite sure que ta colere tomberait comme le vent, si mon pere te donnait la permission d’aller a Notre fete.
Moi . j’irais voir de pareils coquins .
Cela faudrait m’y trainer de force !
que tu es amusant !
Et bien je ne regarderais pas. Je fermerais les yeux !
Tu nos ouvrirais tout grands !
Ah ! mademoiselle, vous me meprisez donc beaucoup ?
vraiment. Mais je te connais.
vous pourrez supposer .
J’affirme aussi que tu ne resterais nullement indifferent a 1 tel spectacle. Une fete du peuple . Je ne sais rien De surcroit emouvant !
claque reste, reprit Dominique en se calmant bien a coup, qu’on m’a assure que ce pourrait etre tres-beau !
Tu t’en es donc informe .
Dieu m’en vais garder . Seulement, en faisant faire mes provisions, ce matin, j’ai appris.
Si tu fermes le regard, tu ne te bouches gui?re des oreilles.
Dame ! mademoiselle, si l’on tient votre panier d’une main et le baton de l’autre.
On reste excusable, j’en conviens. Aussi, tu as appris .
Qu’on devra porter en triomphe la deesse d’la Liberte. Toute la garde nationale est sous nos armes !
Notre cortege aura plus de la demi-lieue de long. Un cortege magnifique . Quelque chose comme la promenade des masques au carnaval !
Imprudent . Lorsqu’on nous entendait .
Oh ! je ne redoute que dalle, moi ! Mes patriotes ne me font gui?re peur . Et, si je ne craignais d’etre gronde par monsieur le marquis, j’irais voir un fete, rien que pour avoir le ravissement de rire a leurs depens !
Ainsi, sans mon pere .
Sans monsieur le marquis, je les poursuivrais deja de mes huees !
Et si je prenais sur moi de t’accorder votre permission ?
Monsieur le marquis ne me pardonnerait jamais cette escapade.
Vous ne me trahiriez nullement ?
A coup sur. Je serais ta complice.
Quoi ! mademoiselle, vous auriez aussi l’idee d’aller a la fete ?